Une journée dans ma vie de "femme de ménage"
Dignité
Travail
II est 4 heures du matin et alors que presque tout le monde dort encore, mon réveil sonne.
Pas de temps à perdre, mes matinées sont bien chargées. J’en profite pour faire quelques tâches ménagères le matin, car le soir je suis trop fatiguée et j’ai l’habitude de m’écrouler dans mon canapé devant la télé. Après avoir pris une douche, je sors les vêtements de la machine à laver pour les mettre à sécher sur mon petit balcon et je range la vaisselle qui est encore dans le lave-vaisselle. D’habitude je prends un café en vitesse et prépare un sandwich que j’emballe dans du papier aluminium avec un fruit pour manger plus tard à midi. Au plus tard à 5h15 je dois descendre pour prendre le bus.
Mes enfants dorment encore. J’ai une fille de 16 ans et un garçon de 14 ans. Heureusement ils sont grands maintenant et se débrouillent tout seuls le matin pour aller à l’école. Je ne vous dis pas la galère quand ils étaient petits.
Pour arriver au boulot je dois prendre 2 bus. Le premier me laisse à la gare de Luxembourg et ensuite je prends celui qui me dépose au travail. Cela fait 4 ans que je suis femme de ménage dans un hôpital à Luxembourg ville. Pendant la crise du Coronavirus, nous avons toutes dû doubler nos efforts. Le travail n’a pas forcément changé, car à l’hôpital nous devons toujours être très rigoureuses avec l’hygiène, mais nous sommes maintenant moins de femmes. En plus, nous devons travailler avec des masques et une combinaison spéciale et c’est très embêtant. J’ai tout le temps chaud et l’impression d’étouffer et notre responsable est très strict avec les mesures de sécurité. A chaque fois qu’il attrape une femme qui baisse son masque pour respirer un peu, il menace de lui donner un avertissement. C’était très calme dans les rues pendant quelques semaines, mais nous n’avons pas pu arrêter. Sans le nettoyage, le virus aurait surement empiré.
Je travaille à l’hôpital de 6h30 à 13h00 et ensuite je me pose dans notre salle de repos pour déjeuner et j’en profite pour appeler mes sœurs ou juste surfer un peu sur internet avec mon téléphone.
Vers 14h je reprends le bus, car l’après-midi je fais du nettoyage dans des maisons privées. Je travaille chez des particuliers depuis que je suis au Luxembourg. C’est bien mais souvent les patrons préfèrent ne pas donner de contrats. Ils ne veulent que payer les heures travaillées, comme ça pas besoin de payer les vacances ou les cotisations. Ce n’est pas idéal, mais ça arrondit les fins de mois et comme je travaille à l’hôpital pour une entreprise, j’ai quand même un peu de sécurité.
Je travaille en ce moment dans deux maisons différentes, ce sont deux sœurs et ce n’est pas trop loin de chez moi. Elles sont gentilles, mais parfois je dois leur rappeler de me préparer le salaire. Elles me donnent l’argent dans une enveloppe à la fin du mois mais parfois elles oublient de retirer de l’argent, parfois elles ne sont pas à la maison… Ça me gêne beaucoup quand je dois demander, mais je n’ai pas toujours le choix. A part ça, je n’ai rien à dire, elles sont contentes de mon travail.
Je suis à la maison vers 18h si je ne dois pas faire les courses. Le soir, j’aime bien mettre la radio et cuisiner. J’essaie de maintenir l’habitude du diner en famille, car c’est le seul moment où je peux passer un peu de temps avec mes enfants. Comme avec tous les adolescents, parfois c’est conflictuel. Le sujet qui fâche c’est souvent l’école, surtout avec le garçon, mais j’essaie d’être patiente. J’avoue que même si j’insiste souvent pour qu’il fasse ses devoirs et qu’il étudie, je n’ai pas vraiment les moyens de vérifier ce qu’il fait.
Les enfants m’aident à tour de rôle à nettoyer la cuisine et je me couche au plus tard vers 22h après avoir regardé un peu la télévision. Même si ça fait déjà plus de 10 ans que je suis au Luxembourg, j’aime toujours regarder les séries télévisées de mon pays d’origine, c’est une habitude.
Jessica Lopes est née au Luxembourg. Elle a des origines italiennes et portugaises. Ces dernières l'ont selon elle, sans aucun doute, sensibilisée aux questions liées à l'immigration et au vivre ensemble.. Féministe et consciente des injustices sociales, Jessica s'est formée en assistance sociale et a fait un master en sociologie pour lequel elle a effectué une recherche en Inde qui porte sur l’immigration et l’impact sur les rôles de genres.
Jessica Lopes a vécu et travaillé à Lisbonne dans une association de lutte pour les droits des migrants et ensuite rejoint le mouvement syndical au Luxembourg pour organiser les salarié.e.s du secteur du nettoyage, qui sont dans la quasi totalité des femmes migrantes ou frontalières.
Durant son temps libre, l'auteure s'engage dans la plateforme JIF (Journée Internationale des droits des Femmes) pour contribuer à ce que les injustices qui perdurent envers les femmes et les minorités sexuelles et de genre puissent enfin être éliminées.